Avec Go PAGA, son programme pilote d’empowerment par l’éducation et l’insertion professionnelle des veuves et des orphelins de soldats tombés pour la patrie, Fadima Kambou entend contribuer, à son niveau, à la lutte contre le terrorisme au Burkina Faso englué dans une épineuse problématique sahélienne. Portrait d’une femme miraculée dont le parcours personnel explique son rapport à l’humain, à la femme et à la vie.

Par David Cadasse, Article initialement paru dans Afrik.com le 8 mars 2021

Elle n’aurait pas dû avoir des enfants. Endométriose. Stade 4. Une maladie gynécologique chronique, caractérisée par la présence anormale de tissu utérin en dehors de la cavité utérine, qui signait pour Fadima une stérilité annoncée.

Après 3 tentatives infructueuses de PMA (Procréation Médicalement Assistée), dont la dernière était son ultime chance de devenir mère, tout espoir semblait perdu. Et pourtant.

A la stupéfaction de tout le corps médical, elle et son mari sont aujourd’hui les heureux parents non pas d’un mais de deux merveilleux enfants naturels. De quoi raffermir encore plus sa foi.

A la stupéfaction de tout le corps médical, elle et son mari sont aujourd’hui les heureux parents non pas d’un mais de deux merveilleux enfants naturels. De quoi raffermir encore plus sa foi.

Une partie d’intimité que Fadima Kambou a tenu à partager pour encourager les femmes atteintes de cette maladie difficile à déceler qui touche 10% de la gent féminine et qu’on ne crie pas forcément sur tous les toits.

A 39 ans, Fadima est une boule d’énergie. Elle cultive un farouche rapport humain à l’altérité qui imprègne toute sa vie, notamment professionnelle. Pas étonnant donc qu’elle ait embrassé un parcours RH (Ressources Humaines), une vocation qui couvait depuis son adolescence. Mariée, elle est la 4ème d’une fratrie de 6. La première fille.

« J’ai toujours eu cette curiosité RH. Depuis que j’ai 14 ans, j’ai toujours posé plein de questions sur ça. Je demandais tout le temps à ma mère sa fiche de paie, pour voir comment on la payait, comment c’était calculé ».

Une étrange passion pour une adolescente qui sonnera quelques années plus tard comme une évidence.

Elle arrête sa licence de droit pour faire une licence en communication, avant de se spécialiser avec un master 1 et un master 2… en Ressources Humaines à Paris.

« Ça correspondait en tout point à l’idée que je m’en faisais, d’autant que les cours, dispensés en partie par des professionnels RH, étaient très concrets ».

Elle commence à travailler en France. En stage, initialement de 6 mois, où elle imprime déjà sa patte.

« J’ai commencé ma mission en demandant à la DRH de me laisser aller sur le terrain. J’ai donc travaillé avec les ouvriers du groupe, à leur poste respectif, pour mieux comprendre ce qu’ils faisaient, pour mieux comprendre leurs besoins. Ce qui me semblait indispensable pour pouvoir prendre, après, des décisions ou des initiatives RH plus avisées ».

Une passion RH qui ne tarde pas à s’exprimer hors de la sphère professionnelle quand, au sein de son église, elle identifie des jeunes en difficulté, dont certains semblaient voués à l’échec.

Une fatalité à laquelle elle ne saurait se résoudre. Aussi les prend-elle sous son aile pour les accompagner, un à un, afin qu’ils révèlent leur potentiel et se révèlent à eux-mêmes. Avec succès.

Elle va donc construire sa carrière en ayant pour ligne directrice l’humain, au centre de toutes ses décisions et de ses actions.

Aprés huit (8) ans à des postes en RH sur Paris, elle décide en 2018 de quitter son pays d’adoption afin de servir au Burkina toujours dans la même dynamique d’accompagnement.

Elle pilotera notamment le Ouaga Job Challenge avec l’association BurkinAction, projet d’innovation sociale sur l’employabilité des jeunes du pays et de la diaspora, fort d’une trentaine d’entreprises partenaires et avec un taux de réussite de 85%.

Tout ça en parallèle de son poste de Directrice des Ressources Humaines qu’elle occupait au sein d’une Institution de micro finance ouagalaise avec plus de 230 collaborateurs.

Elle y structure, entièrement, un service RH alors embryonnaire. Un poste qu’elle décide de quitter, en novembre 2020, malgré les réussites et les actes concrets qu’elle a su poser pour se consacrer au développement de programmes sur le genre et l’employabilité des jeunes.

Avec toujours la même intention : développer l’Homme, ses compétences et son potentiel, pour développer des écosystèmes sains et performants. Et montrer une autre image d’un continent où elle aimerait voir grandir et s’épanouir ses enfants.
Genèse de Go PAGA

Personne au Burkina Faso ne peut ignorer la délicate situation sécuritaire dans le pays avec les affres du terrorisme qui gangrènent toute la sous-région et dont le premier rempart reste aujourd’hui militaire.

La voisine de Fadima est justement épouse de militaire. Elle le sait. Leurs enfants jouent ensemble. Et quand un jour elle apprend, sur les réseaux sociaux, qu’il y avait eu des attaques dans le Nord et qu’on était sans nouvelle d’une troupe partie au combat, Fadima est inquiète. Elle se doutait que le mari de sa voisine était en opération.

Elle va donc la voir, le soir, pour une salutation de courtoisie, avec l’idée de l’encourager indirectement. Car elles n’échangent jamais sur le métier ou les déplacements de son mari. Et pour la première fois les mots sortent. Sa voisine lui confie toute son inquiétude. Elle n’avait pas de nouvelles depuis deux jours…

Troublée, Fadima rentre chez elle, essayant de se figurer le tourment de cette femme, mère de 3 enfants, et essayant de se figurer le sien si Serge, son mari, un ancien du Prytanie militaire de Kadiogo, eut continué un parcours dans l’armée. Une perspective terrifiante, angoissante, insoutenable.

« Je me suis alors demandé ce que je pouvais faire, à mon niveau, avec mes compétences pour contribuer à quelque chose, pour me sentir utile à mon pays ». Un effort de guerre qui porte aujourd’hui un nom : « Go PAGA ».

Go : qui signifie « aller » en anglais et PAGA « femme » en moré (une des langues principales du Burkina). Un programme pilote d’accompagnement professionnel et scolaire individualisé des veuves et des orphelins de militaires tombés au combat.

Un programme pilote de quatre mois, initié sur fonds propres, en partenariat avec l’Armée et plus précisément la Gendarmerie, et soutenu dans sa phase initiale par Jeunesse Sahel, un projet d’intrapreneuriat de l’AFD grand Sahel.

Un premier test avec 7 femmes et 1 adolescente (fille d’un des défunts) qui porte déjà ses fruits et suscite les premiers élans de solidarité citoyenne.

Comme quand Fadima souhaitait contracter des assurances santé pour l’ensemble des femmes du projet pilote et de leurs enfants. Le directeur de Yelen Assurance a refusé qu’elle paie et a tenu à offrir toutes les assurances, pour « contribuer à soutenir le moral de ceux qui se battent pour la liberté et la paix des Burkinabé ».

Et que dire de son équipe de consultants, tous séniors et professionnels dans l’accompagnement, qui ne comptent pas leurs heures dans le projet et sont « plus qu’impliqués dans Go PAGA », se félicite Fadima.

Elle estime que sans eux rien ne serait possible. Eux qui vont sur place, travailler avec les femmes, eux qui participent de cette intelligence collective opérationnelle autour des différents cas. « Le travail avance plus qu’au-delà de mes attentes », révèle Fadima avec un léger brin d’émotion.


Contribuer à lutter contre le terrorisme

Pour Fadima les enjeux sont de taille. « Go PAGA c’est participer à donner une réponse concrète de la société civile quant au sort de ces familles-là. C’est contribuer à lutter contre le terrorisme. »

« Si on n’en prend pas soin, estime-t-elle, on fertilise une situation déjà critique. Une femme qui est, par exemple, à Djibo, dont son conjoint est décédé. La coutume du lévirat veut qu’elle épouse le frère ou l’oncle de son défunt mari.

Si elle refuse, elle se retrouve abandonnée, chassée. Et ça c’est du pain béni pour ceux qui voudraient l’embrigader. Parce qu’elle est vulnérable, surtout si elle a des enfants.

Une femme est prête à TOUT pour le bien-être de son enfant. Jusqu’aux derniers sacrifices. Parce qu’elle cherche pour lui la stabilité et la sécurité. Quitte à devenir l’épouse d’un terroriste.

Détourner la femme d’un militaire tué au combat pour la rallier à sa cause serait d’ailleurs pour lui une double victoire symbolique.

Quant aux orphelins, la question se pose de manière tout aussi accrue. Si on ne s’en occupe pas ce sont des gens qui pourraient facilement se retourner contre le pays. Par frustration. Frustration de voir leur mère délaissée. Et reconnaissant envers ceux qui se proposent de leur tendre la main en les recrutant dans leurs sombres rangs ».

« Go PAGA ne donne pas de l’argent à ces femmes, mais on leur trouve une solution durable et personnalisée en les accompagnant à se stabiliser au niveau professionnel. En tenant compte de leur niveau scolaire et en partant de qui elles sont, chacune. En travaillant à leur indépendance pour qu’elles puissent prendre soin d’elles, de leurs enfants et même de plusieurs personnes dans la famille ».

Le lancement officiel du programme a été fait le 13 février dernier à Ouagadougou. Sans journaliste, devant une cinquantaine d’invités.

Et certains responsables militaires témoignent que le programme, même expérimental, aurait d’ores et déjà un impact sur le moral des troupes.

Partir en mission « aux finalités incertaines » avec l’idée que leur famille sera à l’abri au cas où ils seraient tués dans l’exercice de leurs fonctions semble être une motivation supplémentaire pour « mieux se donner au combat ».

Et Fadima rêve d’un programme Go PAGA national pour toute l’armée et d’une assurance maladie, à vie, pour les veuves et les orphelins de guerre. Un rêve qui tient plus aujourd’hui d’un objectif concret qu’elle poursuit pas à pas avec toute son équipe pour une mission RH à la hauteur des plus hauts enjeux.

Rendez-vous donc au mois de juin pour la cérémonie de restitution de ce projet pilote.